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Décret inscription : une affaire d'ingénieur

Après le chaos et l’incertitude créés par les précédents décrets inscriptions, la nouvelle Ministre de l’enseignement devait plancher sur un nouveau décret réglementant les inscriptions en 1ère année du secondaire en vue « d’établir un dispositif d’inscription efficace, transparent, garant de la liberté des parents, de la mixité sociale et de l’autonomie des acteurs et partenaires de l’école » . Ambitieux ! Ou en est-on ? Force est de constater que le projet de décret du Gouvernement de la Communauté française rompt définitivement avec les précédents décrets. Plus question de files ni de tirages au sort, place désormais au classement d’élèves sur base de critères qui font la part belle aux critères géographiques (distance entre le domicile et l’école primaire, distance entre le domicile et l’école secondaire, distance entre l’école primaire et l’école secondaire) et qui discriminent négativement certaines écoles primaires (existence de partenariat pédagogique entre une école secondaire et une école primaire, poursuite de l’immersion linguistique,…). La prééminence du critère géographique amène plusieurs constats. En effet, en accordant un poids d’importance à la distance entre le domicile et l’école primaire, le décret pénalise fortement des choix antérieurs réalisés par les parents (notamment ceux qui ont privilégié par exemple une école primaire plus proche de leur lieu de travail par commodité). Par ailleurs, ce critère pénalise également les élèves francophones de la périphérie qui souhaiteraient s’inscrire dans une école secondaire à Bruxelles ou en Wallonie. De plus, cette approche ne favorise pas la mixité sociale, objectif visé, que ce soit dans les quartiers chics ou les quartiers défavorisés. Le système d’inscription est administrativement simple. Le traitement de l’inscription est complexe. Les parents inscrivent leur enfant dans une seule école qui correspond à leur 1er choix et peuvent formuler jusqu’à 9 autres choix s’ils craignent que leur 1er choix ne puisse être honoré. Chaque enfant inscrit se verra calculer un indice. Les inscriptions seront donc classées. Les premiers bénéficieront de l’inscription dans l’école, les autres se verront renvoyés à leur choix suivant. Donc, le système nécessite de connaître le nombre de places disponibles dans les écoles souhaitées, d’évaluer le nombre de places restantes après inscription des élèves prioritaires et de procéder au calcul de l’indice de leur enfant auprès de l’école concernée en fonction des critères prévus par le décret. Ce calcul nécessite donc également de savoir quelles sont les écoles les plus proches de son domicile au sein du même réseau. Autrement dit, pour s’inscrire, il faut mettre en œuvre une stratégie sur base du modèle mathématique qui se dégagera du décret afin de maximiser la probabilité d’obtenir son choix, sachant que des variables seront préalablement inconnues. Par conséquent, encore une fois, ce système entraînera des discriminations entre les parents les mieux informés et les mieux armés pour le comprendre, et les autres. Et la mixité ? Ce décret me laisse perplexe quant à l’objectif poursuivi. En effet, il ne résoudra pas la problématique des écoles ghettos et ne garantit pas que les élèves issus d’écoles à l’indice socio-économique inférieur s’inscriront dans les écoles dites « réputées » ou y resteront. Par ailleurs, le décret part du postulat que les élèves fréquentant les écoles à l’indice socio-économique inférieur sont issus des couches défavorisées de la population, ce qui n’est pas toujours vrai. Au lieu de s’atteler à des énièmes décrets inscriptions, donnons plus d’autonomie aux écoles, responsabilisons le corps enseignant et fixons des objectifs à atteindre, susceptibles d’être évalués. En pratique, la procédure instaurée par le décret soulève également quelques interrogations. En effet, le décret prévoit une période d’inscription unique qui s’étalera sur trois semaines. Chaque élève susceptible d’être inscrit en première année du secondaire recevra un formulaire de la part de son chef d’établissement. Ce système nécessite que l’administration accomplisse un travail titanesque avant l’ouverture de la période unique d’inscription. Des questions subsistent : l’administration sera-t-elle en mesure d’envoyer tous les formulaires uniques d’inscription à temps ? Qu’en sera-t-il des élèves qui n’auront pas pu être inscrits lors de la période d’inscription unique ? Qu’en sera-t-il des éventuels changements d’écoles ? Le système promet de pouvoir caser tous les élèves en passe d’être inscrits dans le secondaire. Néanmoins, là encore des incertitudes subsistent ; je pense notamment aux élèves dont les parents n’auront fait qu’un seul choix d’école et dans laquelle ils seront sur liste d’attente. Qu’en sera-t-il également des élèves inscrits dans une école qui n’est pas leur premier choix et en attente d’une autre inscription ? Va-t-on assister au balai d’inscriptions d’école à école ? Dans quels délais la Commission Interreséaux des inscriptions (CIRI) sera-t-elle en mesure de caser tous les élèves dont le premier choix n’aura pas été honoré ? Le système des inscriptions en première année secondaire est totalement désorganisé depuis 3 ans à cause de funestes législations. Cette troisième version du décret laisse perplexe face aux objectifs poursuivis et aux problèmes pratiques et questions en suspens qui se poseront inéluctablement. Sous le prétexte d’une pseudo simplicité, la liberté de choix des parents est encore mise à mal vu un caractère aléatoire subsistant. Le premier acte éducatif et pédagogique du cycle secondaire, que représente l’inscription dans une école, est encore bien mal traité. Pourquoi ne pas laisser les directions d’écoles et les parents, veiller à des inscriptions qui assurent une adéquation entre le profil de l’enfant et celui des écoles ? Serge de Patoul, Député à la Région de Bruxelles, Echevin de l’enseignement à Woluwe-Saint-Pierre.