Nos élèves dans des classes africaines de brousse

La littérature scientifique récente foisonne d'articles traitant de l'apprentissage par la mise en contexte de l'exercice de compétences par des méthodologies telles que l'utilisation de situations de problèmes et d'expérimentations, de l'utilisation du jeu dans le processus d'apprentissage,... C'est dans ces mouvances pédagogiques qu'il faut resituer l'initiative de sensibilisation à la coopération menée en 2003 dans trois écoles primaires de l'enseignement communal de Woluwe-Saint-Pierre et en 2008 dans les quatre écoles communales (2). Soulignons que le délai entre les deux expériences résulte de la volonté de garantir l'effet de surprise des élèves. Autrement dit, il ne faut pas avoir dans le groupe des élèves, des enfants ayant déjà vécu l'expérience. Notons que la commune de Woluwe-Saint-Pierre est jumelée depuis 1970 avec le district rwandais de Ruyumba (anciennement commune de Musambira) qui se situe à 35 kilomètres de Kigali sur la route de Gitarama – Butare – Bujumbura. L’opération a été menée dans le cadre d’une action de parrainage financier d’élèves du district de Ruyumba. {{ {{{Les objectifs}}} }} Deux objectifs principaux ont été poursuivis. D'une part, le premier objectif, le plus évident, était de sensibiliser les jeunes enfants à la nécessité d'une solidarité Nord-Sud et donc à la coopération. Plusieurs sous-objectifs étaient liés à ce premier objectif général : la mise en évidence de différences culturelles, la formulation de questions, l'aptitude à exprimer des perceptions et la prise de connaissance et de conscience de la situation d'enfants de leur âge dans des écoles du type rural en Afrique. Le second objectif, plus difficile à pouvoir faire dégager par des enfants, était la mise en évidence de la chance qu'ils ont de suivre l'enseignement et des conditions dans lesquelles ils peuvent le suivre. L'activité voulait aussi montrer aux enfants que la solidarité et la coopération peuvent déjà se réaliser au « départ de chez soi ». En 2008, un objectif supplémentaire a été ajouté : stimuler la mise en évidence de préjugés ("je suis dans une bonne école donc je pourrai être demain quelqu'un dans la société" "ils sont dans une mauvaise école donc demain ils ne seront "rien" dans la société) et ouvrir l'espoir. {{{ {{Description de l'activité en 2003}} }}} L'activité a été prévue pour deux heures avec quatre séquences, chacune d’une demi-heure. La première séquence a consisté à donner un cours de mathématique durant une demi-heure, avec unenseignant, dans des classes de 4ème, 5ème et 6ème années primaires. Ces trois classes regroupant entre 60 et 80 élèves suivant les simulations étaient rassemblées dans un seul local de taille inférieure à une classe normale. Effectivement, dans chacune des écoles, une classe normale avait été réduite par le placement de panneaux de toile de jute. Le nombre de bancs et de chaises permettaient d'installer, suivant les groupes, plus au moins un tiers des enfants, les autres devant rester debout. Le matériel donné aux enfants était composé de quelques feuilles de papier ainsi que de quelques crayons, qui étaient en nombre insuffisants par rapport au nombre d'élèves. Ceux-ci n’ont pas eu la possibilité de prendre leur propre matériel. Durant la demi-heure, l'enseignant travaillait par niveau de classe. En l'occurrence, il notait au tableau, pour un des groupes, ce qu'il y avait lieu de faire, veillait à ce qu'un élève lise, et demandait au groupe de travailler pour continuer avec un autre groupe. Après la demi-heure d'enseignement, le professeur a clairement interrompu la simulation et il a laissé la place à un témoignage donné par un Rwandais. Après cette première heure, le groupe s'est divisé en deux. Une moitié des élèves s'est rendue dans un autre local pour suivre une explication de la situation au Rwanda. Cette explication a été donnée en racontant une histoire illustrée par des photos de la vie d'un enfant de leur âge. Le second groupe est resté dans le local de la simulation de la classe rwandaise. La séquence a consisté aux « questions réponses » au sujet du témoignage, à l’expression du ressenti de l’expérience d’ « être un élève rwandais » et à la mise en évidence de la signification du ou des ressentis eus lors de l’expérience. Ainsi, les enfants ont posé des questions au témoin et les animateurs ont eux posé des questions aux enfants en vue de leur faire énoncer ce qu'ils avaient perçu et ce qu'ils en dégageaient comme enseignement. Cette phase importante a permis de mélanger tant la mise en évidence que les explications de la situation au Rwanda afin de comprendre les différences. Si le travail en demi-groupe était prévu pour se dérouler en deux séquences d'une demi-heure, force est de constater que le moment de questions-réflexions avec le témoin et les animateurs a pris plus de temps vu les réactions et les nombreuses questions. {{{ {{Description de l'activité en 2008}} }}} L'activité a été prévue pour une heure trente avec trois séquences, chacune d’une demi-heure. La première séquence fut similaire à la premier séquence faite en 2003. Après la demi-heure d'enseignement, comme en 2003, le professeur a clairement interrompu la simulation pour laisser la place à un témoignage donné par un conteur africain. Celui-ci a répondu aux questions en insistant d'une part, en se prenant en exemple, sur l'espoir d'arriver à un métier que l'on aime malgré les conditions difficiles et d'autre part sur l'indispensable solidarité entre les élèves pour qu'ils puissent arriver à de bons résultats. Le conteur a mené cette séance de questions-réponses en assurant une atmosphère gaie par des réponses d'espoir et bien souvent par des réponses qui s'avéraient être de petites histoires. En même temps, il a été autoritaire afin d'assurer l'efficacité du travail fourni. Implicitement, il a continué à mettre les enfants en situation de classes africaines. Après cette première heure, le conteur a terminé par une "vraie" histoire. {{{ {{Les faits marquants}} }}} Vu le nombre d'élèves dans les écoles primaires du Rwanda, les enseignants doivent exiger une très grande discipline. L'encadrement des enfants est faible et une forme d'injustice se crée. Dans la simulation de la classe rwandaise, cette situation s'est traduite par le renvoi de la classe des élèves qui, pour des raisons parfois minimes, s'avéraient être soit quelque peu turbulents, soit distraits, soit inaptes à répondre à une question. La nature des locaux ne permettait pas d'accueillir réellement tous les élèves qui composaient le groupe. Dès lors, l'enfant ainsi renvoyé permettait de faire entrer un autre qui attendait à l'entrée. En pratique, un enfant fut renvoyé parce qu'il ne pouvait lire le texte, qu'il n'avait par ailleurs pas reçu, un deuxième parce qu'il n'était pas capable de lire au tableau n'ayant pas ses lunettes, un troisième parce qu'il est arrivé légèrement en retard, … Ainsi, suivant les simulations, cinq à six élèves ont été renvoyés. A ces élèves, il a été demandé d’observer en dehors de l’espace classe (la zone définie par les panneaux de toile de jute) la suite du déroulement du cours. Si, durant cette séquence, la perception de la sévérité était évidente, il s’est aussi dégagé chez les enfants un sentiment de traitement injuste. Cette première séquence a donc constitué pour les enfants un moment fort. Même si ceux-ci ont été quelque peu informés préalablement, ils l’ont vécu intensément. La mise en commun et les « questions réponses » sur base du témoignage ont été le second moment riche en enseignements. Soulignons d'abord que l'attitude des enfants n'était pas la même suivant le fait d'avoir ou non suivi l'histoire illustrée d'un enfant rwandais. De cette mise en commun il s'est dégagé clairement chez les enfants que le processus mis en place consistait à sélectionner d'une manière ou d'une autre. Tout en ayant de grandes difficultés à comprendre les effets d’une exclusion de l’école, les enfants ont ainsi compris que les écoliers rwandais ont un grand respect de l'école et de leur enseignant sous peine de se voir très vite éjecté. Comme c’était aisément prévisible, le Rwanda étant fort étranger aux enfants, il s’est aussi avéré très malaisé de faire comprendre aux enfants ce qu'est le contexte de la vie quotidienne rwandaise. Il est tout à fait normal que ce soit très difficilement perceptible, c’est aussi le cas pour des adultes, surtout si la question du génocide est abordée. Pour les enfants, une difficulté est de comprendre les nuances de la situation : les pays dits en voie de développement ont tous les outils des pays développés tout en étant toujours sous-développés. Il existe à la fois toutes les technologies que nous pouvons rencontrer en Belgique et l'existence d'écoles qui fonctionnent sans le moindre matériel et dans un processus de grande sélection. Ce n'est pas le pays sauvage que l'on peut trouver dans des contes ou des bandes dessinées, mais en même temps il y a de grandes misères. Dans la même perspective, une tendance chez les enfants est de conclure à une représentation misérabiliste : les enfants sont malheureux et ils ne peuvent qu’être tristes. Cette expérimentation et la confrontation aux témoignages ont interpellé : comment, dans de telles conditions, l'enfant peut encore rire, jouer, s'amuser ? En 2008, la question a trouvé une réponse grâce à l'entrain du conteur. L'ambiance gaie a donc donné l'espoir. {{{ {{Conditions de réussite}} }}} Sur base des cinq simulations en 2003, des conditions de réussite peuvent s'énoncer. Les sept simulations de 2008 les ont confirmées. Le rôle de l'enseignant durant la première séquence est essentiel. Il doit avoir une connaissance de l'école africaine. Il est préférable, sans que ce soit pour autant une nécessité, que l'enseignant soit un visage connu par les élèves. Il doit pouvoir saisir les occasions qui permettront de mettre en évidence les enseignements importants comme les sentiments de sévérité et d’injustice « qui sélectionne ». Enfin, il est important que l'enseignant puisse en fin de séquence, très clairement, à la fois préciser que le "jeu" est terminé et calmer la classe pour qu'elle passe d'une séquence de tension à une séquence de sérénité, tout en évitant un chahut de décompression. Outre l'enseignant qui preste la première demi-heure, il est essentiel que les instituteurs des classes concernées soient présents. Effectivement, un enfant ainsi renvoyé est très surpris et parfois quelque peu déboussolé. Les petits visages de ces enfants exprimaient mieux que tout long discours ce désarroi. L'instituteur, ou toute autre personne proche de l'élève comme la direction de l’école, doit pouvoir l'accueillir au moment où il quitte le groupe en vue de lui expliquer qu'il s'agit d'un jeu et ce qu'il a dès lors à faire à ce moment de la simulation. Le témoignage doit être adapté au niveau du groupe. Le temps d'expression des enfants est une phase précieuse de l’apprentissage. Une demi-heure n’est pas suffisante pour permettre de créer un processus de recul face à l’expérience vécue et de réflexions. L'importance de l'animation de cette séquence est grande pour arriver à ce que les enfants expriment ce qu'ils ont perçu, ainsi que ce que signifie leur perception traduite dans la vie d’un enfant. Enfin, une petite explication préalable avant la simulation est nécessaire. Cette explication doit néanmoins être limitée pour laisser la découverte et la surprise. Autrement dit, ils doivent avoir une information sur ce qui va être fait et les règles du jeu, en l'occurrence une simulation d'une classe rwandaise et un cours avec trois classes qui doit être suivi comme une autre leçon. En dire trop conditionne les réactions et rend la tâche de l'enseignant extrêmement difficile quant à l'utilisation d'événements pour illustrer dans la pratique des enseignements à dégager. {{{ {{Un résultat constaté}} }}} Difficile de mesurer les résultats de pareille opération. Les rétroactions sont multiples. Aucun outil n'a réellement été mis en place pour estimer les effets. En 2004, un élèment s'est néanmoins dégagé de manière très explicite. Près d'un an après les simulations de 2003, le maire du district jumelé avec Woluwe-Saint-Pierre a visité les écoles. Les élèves ont été invité à poser des questions. Celles-ci se sont portées sur leur vécu de l'expérience de la simulation afin de vérifier l'exactitude ou non de leurs perceptions. La précision des questions a démontré que la mise en situation avait créé une modification réelle de leurs représentations et donc un apprentissage effectif. {{{ {{Conclusions}} }}} Cette expérimentation brièvement décrite s'est avérée une réussite. Elle a mis en évidence, par des faits vécus, des différences qui montrent la chance que les enfants ont de fréquenter nos écoles. Des enfants l’ont clairement exprimé. Néanmoins, le fait qu'aller à l'école constitue une chance n'a pas été perçu de la même manière chez tous les élèves. Avoir un temps pour réfléchir à ce qui s'est passé, mettre en évidence les perceptions et leur signification est essentiel. Sans cette phase, cette simulation se limiterait presque à un jeu. Il est important de souligner que même le fait de pouvoir énoncer ce que l'on a vécu ne signifie pas que l'on puisse en comprendre la signification. Il est clair que l'opération a poussé les enfants à se poser des questions, à s'informer, à réfléchir sur le sujet. En cela, l'objectif de la sensibilisation a été atteint. Comme bonne démarche scientifique, les élèves sont repartis avec de bonnes questions en tête. Mais une règle de base de l'enseignement est d'accepter de donner du temps à l'apprentissage. Cette initiative constitue un élément fort de sensibilisation, mais elle doit s'intégrer dans une démarche qui puisse répéter cette réflexion durant la même année scolaire. A cette initiative peut être jointe une action comme le parrainage financier d’élèves ce qui pérennise l’action sur plusieurs années scolaires. Serge de Patoul (1) Serge de Patoul est échevin des jumelages et de la coopération internationale de la commune de Woluwe-Saint-Pierre. Il est aussi maître de conférence à l’Université catholique de Louvain où il enseigne à la Faculté des Sciences économiques, politiques et sociales en candidatures et à l'agrégation. (2) La simulation de la classe rwandaise a eu lieu dans les écoles communales du centre (avenue Thielemans, 30) du Chant d’Oiseau (avenue de Eperviers, 62) et de Joli Bois (Val des Epinettes, 3). Monsieur Minders, directeur de l’école communale du centre a donné le cours. Monsieur Minders a enseigné au Congo et il y a aussi été directeur d’une école primaire. Monsieur Digne Rwabuhungu, président de la communauté rwandaise de Belgique, a témoigné et Madame Sophie Huguennard-Roche a présenté la situation du Rwanda. En 2008, l'école communale de Stockel s'est ajoutée. Monsieur Digne Rwabuhungu a été remplacé par un conteur. Ci-dessous des photos des simulations
Une classe africaine de brousse dans nos écoles communales de Woluwe-Saint-Pierre
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